Ma grand-mère habitait à Sarajevo, près de l’endroit où l’archiduc François-Ferdinand a été assassiné en juin 1914, événement considéré comme déclencheur de la Première Guerre mondiale. A la fin de la Seconde, en mai 1945, on la retrouve à Berlin, au milieu des décombres, entourée de ses enfants. Ces deux anecdotes sont le fondement d’une quête qui retrace presque deux siècles et demi d’une chronique à la fois familiale et historique, mettant en scène six générations d’une famille.
Balayant une Mitteleuropa en perpétuelle évolution, ce roman tâche de rendre hommage à ceux dont l’histoire n’a pas retenu les noms, mais qu’elle a tout de même embarqués dans ses bouleversements. Et, en ces temps où la situation des migrants n’a jamais été aussi controversée, il a aussi pour volonté de remettre dans nos coeurs les péripéties modestes et singulières de nos origines. T. B. Une saga de gens simples, qui subirent les chaos de leur temps et les affrontèrent souvent avec le courage de personnages de roman, ceux que la postérité retient.
Tous les articles par Karine
L’Ombre du chardon
par Aki Shimazaki
Après « Le Poids des secrets » et « Au coeur du Yamato », l’écrivaine Aki Shimazaki signe un troisième cycle romanesque, « L’Ombre du chardon ». On y retrouve son délicat art de l’épure pour évoquer la complexité des rapports humains, le poids des non-dits et des carcans imposés par une société entre modernité et traditions. Ce coffret réunit les cinq volumes qui peuvent se lire indépendamment et dans le désordre de « L’Ombre du chardon » : « Azami », « Hôzuki », « Suisen », « Fuki-no-tô » et « Maïmaï ».
Le mage du Kremlin
par Giuliano Da Empoli
On l’appelait le « mage du Kremlin ». L’énigmatique Vadim Baranov fut une des éminences grises de Poutine, dit le Tsar. Après sa démission du poste de conseiller politique, les légendes sur son compte se multiplient, sans que nul puisse démêler le faux du vrai. Jusqu’à ce que, une nuit, il confie son histoire au narrateur de ce livre…
Ce récit nous plonge au cœur du pouvoir, où courtisans et oligarques se livrent une guerre de tous les instants. Mais Vadim n’est pas un ambitieux comme les autres : entraîné dans les arcanes de plus en plus sombres du système qu’il a contribué à construire, ce poète égaré parmi les loups fera tout pour s’en sortir.
De la guerre en Tchétchénie à la crise ukrainienne, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi, Le mage du Kremlin est le grand roman de la Russie contemporaine.
Coup de cœur : passionnant de bout en bout, ce roman précis, à l’élégante écriture, n’est pas que le dévoilement des dessous de l’ère Poutine, il propose aussi une sublime méditation sur le pouvoir, sur notre consentement au pouvoir et sur l’avenir – commun ? – de l’Occident et de la Russie. C’est encore le portrait d’un homme complexe, intelligent et émouvant.
Mr Wilder et moi
par Jonathan Coe
Dans la chaleur exaltante de l’été 1977, la jeune Calista quitte la Grèce pour découvrir le monde. Arrivée à Los Angeles, elle fait une rencontre qui bouleversera sa vie : par le plus grand des hasards, elle se retrouve à la table du célèbre cinéaste Billy Wilder. Quelques mois plus tard, pendant le tournage en Grèce de Fedora, la jeune femme, qui ne connaît alors rien au cinéma, devient l’interprète du réalisateur le temps d’un fol été.
Tandis qu’elle s’enivre de cette aventure dans les coulisses du septième art, Billy Wilder vit ce tournage comme son chant du cygne…
Coup de cœur :Jonathan Coe raconte avec tendresse, humour et nostalgie les dernières années de carrière d’une icône, et nous offre une histoire irrésistible sur le temps qui passe, la célébrité, la famille et le poids du passé.
Enfant de Bohême
par Gilles Kepel
« Tu as fermé ta lettre de deux cachets à la cire rouge portant le monogramme de notre patronyme, la lettre K, élégamment inscrite dans une ellipse. Je conserve un souvenir d’enfance du sceau et de son bâton de cire, qui faisaient partie de l’immense bric-à-brac acquis aux salles d’enchères par Rodolphe durant son exil londonien. Sans doute avait-il trouvé dans cette onzième lettre de l’alphabet vendue au hasard de l’encan dans un lot disparate, fréquente en anglais comme en tchèque mais rare en français, le tesson de notre identité persistant dans la tourmente.
Ce modeste K, qui appartenait peut-être à un King, un Kellogg, un Kenneth prématurément tué ou ruiné par la guerre, magnifiait soudain notre survie familiale à travers les tribulations du XXe siècle… Petit garçon j’avais tenté de jouer avec cet objet fascinant qui produisait des dessins en relief : je me souviens comment tu fis fondre pour moi avec ton briquet – tu étais encore fumeur dans les années 1960 – la cire qui grésillait.
Je me remémore son parfum de brûlé, les bulles noires et rouges, la pâte molle qui en séchant fit naître ce camée cramoisi, chétif et précieux ».
Ce genre de petites choses
par Claire Keegan
En cette fin de 1985, Bill Furlong, le marchand de bois et charbon, a fort à faire. Parmi ses commandes, une livraison pour le couvent voisin. Le bruit court que les sœurs y exploitent à des travaux de blanchisserie des filles non mariées et qu’elles gagnent de l’argent en plaçant à l’étranger leurs enfants illégitimes. L’épouse de Bill, Eileen, est d’avis que de telles choses ne les concernent pas.
Un avis qu’il a bien du mal à suivre par ce froid matin de décembre, lorsqu’il reconnaît, dans la forme recroquevillée et grelottante au fond de la réserve à charbon, une très jeune femme qui y a probablement passé la nuit. Tandis que, dans son foyer et partout en ville, on s’active autour de la crèche et de la chorale, cet homme tranquille et généreux n’écoute que son coeur. Claire Keegan, avec une intensité et une finesse qui donnent tout son prix à la limpide beauté de ce récit, dessine le portrait d’un héros ordinaire, un de ces êtres par nature conduits à prodiguer les bienfaits qu’ils ont reçus.
Coup de cœur : Une histoire toute en grâce et délicatesse, qui aborde le drame des couvents des Magdalene Sisters.
Les gens de Bilbao naissent où ils veulent
par Maria Larrea
Tout commence en Espagne. En juin 1943, une prostituée obèse de Bilbao donne vie à un garçon qu’elle confie aux jésuites. Plus tard, en Galice, une femme accouche d’une fille qu’elle abandonne aux soeurs d’un couvent. Les deux orphelins connaissent la misère et Franco mais se rencontrent, se marient, partent à Paris. La Galicienne devient femme de ménage, le Basque gardien du théâtre de la Michodière.
Ils auront un enfant, Maria. C’est notre narratrice. A vingt-sept ans, celle-ci croyait s’être arrachée à ses origines : la loge de ses parents, la violence de Julian et les silences de Victoria. Mais un tirage de tarot va renverser son existence et l’obliger à replonger dans le passé des siens. Pour comprendre de qui elle est la fille, elle devra enquêter et revenir là où tout a débuté, à Bilbao, où naissent les secrets.
Etourdissant de style, d’énergie et de vie, ce premier roman mené tambour battant nous embarque instantanément. Avec maestria, Maria Larrea y recompose pièce à pièce le visage de sa famille et le puzzle de sa mémoire. On court et rit et pleure ensemble. Une écrivaine est née.
Le lâche
par Jarred McGinnis
Un accident de voiture, un jeune homme reste paralysé et un père retrouve son fils. Dix ans après s’être enfui de sa maison, l’adolescent qui fuguait sur les trains de marchandises et qui traversait le pays en stop est maintenant en fauteuil roulant. Son père, aussi aimant qu’écorché, est la seule personne qui viendra sans hésiter le chercher à l’hôpital. Le Lâche est un premier roman poignant, touchant et plein d’humour sur les retrouvailles impossibles, les reconstructions d’un corps, d’une relation, d’une vie, d’une mémoire, et sur la possibilité de redécouvrir le bonheur quand tout semble perdu.
Ce livre décapant, qui explore avec puissance et humour le pardon et le regard d’autrui sur la différence, signe la naissance d’un grand auteur capable de faire cohabiter la brutalité avec la lumière, le rire et la tendresse avec les souvenirs explosifs, le café filtre et les donuts avec l’ivresse de l’aventure.
Le sniper, son wok et son fusil
par Kuo-li Chang
A Taïwan, le superintendant Wu doute du suicide d’un officier du Bureau des commandes et acquisitions de l’armée. Un deuxième cadavre d’officier, rejeté par la mer sur la plage des Perles de sable, renforce son intuition. A Rome, le tireur d’élite Ai Li, dit Alex, s’apprête à dégommer un conseiller en stratégie du président taïwanais sur ordre des services secrets. Mais au dernier moment, tout capote et, menacé, il s’enfuit à travers l’Europe.
De retour à Taipei, Alex croise le chemin de Wu, qui, aidé par son fils hacker en herbe, persiste à enquêter malgré les ordres venus d’en haut. Apparemment, tous deux ont la même personne pour cible… Sous le signe du riz sauté, la spécialité d’Alex quand il n’est pas en mission, un thriller à cent à l’heure, plein d’humour et gourmand.
Coup de cœur : un excellent polar qui sort des sentiers battus. De Rome à Taipei, l’intrigue est impeccable, les personnages très intéressants. Les paysages, les mœurs et les rouages de la police de Taiwan nous changent un peu des ambiances nordiques. Le tout est couronné par une écriture précise et aussi vivace que les recettes de riz sauté qui accompagnent notre enquêteur.
Attaquer la terre et le soleil
par Mathieu Belezi
Mathieu Belezi livre avec Attaquer la terre et le soleil un roman magistral, qui incarne la folie et l’enfer que fut la colonisation de l’Algérie au 19e siècle. On suit deux personnages : une femme, colon donc, venue de France avec toute sa famille pour travailler la terre d’Algérie et un jeune soldat. Ils sont bousculés par les paysages, la dureté du climat, les autochtones. En un bref roman, c’est toute l’expérience d’un écrivain qui subitement se cristallise et bouleverse, une voix hantée par Faulkner.
Coup de cœur : la musicalité de l’écriture frappe dès les premières lignes. On est directement dans la tête et le cœur des personnages, dans leur langage intime, tout en conservant une qualité d’écriture remarquable. Incandescent !