Tous les articles par Karine

Les contreforts

par Guillaume Sire

Au seuil des Corbières, les Testasecca habitent un château fort fabuleux, fait d’une multitude anarchique de tourelles, de chemins de ronde et de passages dérobés. Clémence, dix-sept ans, bricoleuse de génie, rafistole le domaine au volant de son fidèle tracteur ; Pierre, quinze ans, hypersensible, braconne dans les hauts plateaux ; Léon, le père, vigneron lyrique et bagarreur, voit ses pouvoirs décroître à mesure que la vieillesse le prend ; et Diane, la mère, essaie tant bien que mal de gérer la propriété.
Ruinés, ils sont menacés d’expulsion. Frondeurs et orgueilleux, les Testasecca décident alors de prendre les armes pour défendre le château, son histoire et, finalement, ce qu’ils sont.

Coup de cœur : un texte flamboyant, gorgé des odeurs de la garrigue de l’Aude, un hymne  à la résistance familiale.

Toute une moitié du monde

par Alice Zeniter

Avec Toute une moitié du monde, Alice Zeniter écrit un livre hautement stimulant, fondé sur ses expériences personnelles de lectrice avant tout, mais d’écrivaine aussi, un livre qui nous invite à repenser nos façons de lire les histoires qu’on nous raconte. C’est aux lecteurs que nous sommes qu’il s’adresse, c’est avec eux qu’il converse, avec autant de sérieux que d’allégresse, autant d’humour que d’érudition.
Ce livre est tout simplement l’histoire d’une femme qui aimerait qu’on ouvre en grand les fenêtres de la fiction.

Coup de cœur : brillant, enlevé mais aussi profond et proposant une saine réflexion sur les histoires qu’on nous raconte à longueur de littérature ; ce texte est aussi prenant qu’une belle histoire.

Trust

par Hernán Diaz

« New York enflait de l’optimisme tapageur de ceux qui croient avoir pris de vitesse le futur ». Nous sommes dans les années 1930, la Grande Dépression frappe l’Amérique de plein fouet. Un homme, néanmoins, a su faire fortune là où tous se sont effondrés. Héritier d’une famille d’industriels devenu magnat de la finance, il est l’époux aimant d’une fille d’aristocrates.
Ils forment un couple que la haute société new-yorkaise rêve de côtoyer, mais préfèrent vivre à l’écart et se consacrer, lui à ses affaires, elle à sa maison et à ses œuvres de bienfaisance. Tout semble si parfait chez les heureux du monde… Pourtant, le vernis s’écaille, et le lecteur est pris dans un jeu de piste.

Coup de cœur : la géniale sensation d’être baladé par l’auteur et de comprendre au fur et à mesure de la lecture. Une architecture virtuose, une construction narrative géniale, au service d’une histoire passionnante, le tout servi dans un style élégant et précis. Ne vous demandez pas pourquoi Hernan Diaz a eu le Pulitzer pour ce livre !

Perspective(s)

par Laurent Binet

Florence, 1557. Le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis onze ans. Un tableau a été maquillé. Un crime de lèse-majesté a été commis. Vasari, l’homme à tout faire du duc de Florence, est chargé de l’enquête. Pour l’assister à distance, il se tourne vers le vieux Michel-Ange exilé à Rome. La situation exige discrétion, loyauté, sensibilité artistique et sens politique.
L’Europe est une poudrière. Cosimo de Médicis doit faire face aux convoitises de sa cousine Catherine, reine de France, alliée à son vieil ennemi, le républicain Piero Strozzi. Les couvents de la ville pullulent de nostalgiques de Savonarole tandis qu’à Rome, le pape condamne les nudités de le chapelle Sixtine.

Perspective(s) est un roman historique épistolaire. Du broyeur de couleurs à la reine de France en passant par les meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, chacun des correspondants joue sa carte. Tout le monde est suspect.

Par-delà l’oubli

par Aurélien Cressely

Décembre 1941. René Blum est arrêté à son domicile parisien avec le concours de la police française, au cours d’une vaste rafle de notables de confession juive. Il est déplacé des camps d’internement français à celui d’Auschwitz, où il perd la vie. Frère cadet de Léon Blum, la grande figure du Front populaire, René Blum est un homme de son temps, au service des arts. Tour à tour journaliste et critique à la Revue blanche et à Gil Blas, il fut aussi directeur artistique de casinos et du théâtre de Monte-Carlo – où il succéda à Diaghilev à la direction des Ballets russes.
Il fréquenta aussi bien les écrivains que les peintres et les musiciens avant-gardistes. Profondément humaniste et courageux, il mena pourtant une vie de famille chaotique. Un premier roman riche, passionnant, qui nous fait découvrir les multiples facettes de ce personnage historique méconnu dont l’engagement pour son pays fut considérable.

Fille de Tunis

par Olivia Elkaim

Tunis, années 1940. Les parents d’Arlette ne savent plus comment faire : indomptable, leur fille s’enfuit toutes les nuits et n’obéit à personne. A la mort de son père, un oncle décrète qu’il faut la marier. Arlette rencontre Sauveur, beau canonnier d’origine sicilienne. Avec lui, elle pense trouver la liberté. Mais ses grossesses ruinent ses espoirs et la fin du Protectorat français signe son départ pour Marseille.
Exilée, reléguée socialement, elle lutte pour reconstruire sa vie, loin de la dolce vita tunisoise et de son mari, resté là-bas.  Après sa mort, en 2010, ses filles renoncent à la succession et jettent tous leurs souvenirs. Que cachent-elles à Olivia, sa petite-fille ? Le fantôme de cette grand-mère, dont elle était si proche, revient la hanter, une décennie après sa disparition.
Après Le Tailleur de Relizane, Olivia Elkaim continue d’explorer son roman familial, entre les deux rives de la Méditerranée. Elle nous entraîne dans le sillage d’une femme libre et magnétique, au destin percuté par la guerre, la décolonisation et l’exil.

Triste tigre

par Neige Sinno

J’ai voulu y croire, j’ai voulu rêver que le royaume de la littérature m’accueillerait comme n’importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l’art, on ne peut pas sortir vainqueur de l’abjection. La littérature ne m’a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.

Quand tu écouteras cette chanson

par Lola Lafon

« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une oeuvre ? Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant.
La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au coeur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver ».

Coup de cœur :  ce livre magnifique nous transporte. Sa qualité littéraire, tout le talent de narratrice de Lola Lafon en font un texte unique et nécessaire.

L’inventeur

par Miguel Bonnefoy

France, milieu du XIXe siècle. Voici l’étonnante histoire d’Augustin Mouchot, fils de serrurier de Semur-en-Auxois, obscur professeur de mathématiques, devenu inventeur de l’énergie solaire grâce à la découverte d’un vieux livre dans sa bibliothèque. La machine qu’il construit et surnomme Octave séduit Napoléon III et recueille l’assentiment des autorités et de la presse. Elle est exhibée avec succès à l’Exposition universelle de Paris en 1878.
Mais l’avènement de l’ère du charbon ruine ses projets que l’on juge trop coûteux. Après moult péripéties, dans un ultime élan, Mouchot tente de faire revivre le feu de sa découverte sous le soleil d’Algérie. Trahi par un collaborateur qui lui vole son brevet, il finit dans la misère, précurseur sans le savoir d’une énergie du futur.

Coup de cœur : jamais déçues ! Nous voici à nouveau à décerner avec jubilation un coup de cœur à  la prose de Miguel Bonnefoy. Son talent pour la fiction, ses histoires qu’on a envie de suivre jusqu’au bout du monde ou jusqu’au bout de la passion ;  servies par une langue riche, précise et imagée. Un régal, encore et toujours.

Voyageur malgré lui

par Minh Tran Huy

Un mois d’août à New York, Line découvre dans un musée l’existence d’Albert Dadas, l’une des premières personnes atteintes de la « folie du fugueur », cette étrange maladie qui le poussa à plusieurs reprises, à errer, sans souvenirs de la volonté même de ce départ. L’occasion pour Line de s’ouvrir à tant d’autres parcours, d’autres exilés, volontaires ou non. Et de conter leur trajectoire, leur quête d’une terre d’accueil et d’une identité à composer.
C’est aussi une poignante déclaration d’amour au père, lui-même « Voyageur malgré lui », celui par qui tout a commencé.

Coup de cœur : d’une grande qualité d’écriture, ce roman est dans la lignée des beaux textes, mélancoliques et profonds, de Minh Tran Huy.