Coups de cœur du rayon Sciences humaines et sociales

(histoire, économie, politique, philosophie, psychologie, sociologie…)

Cézanne

par Marie-Hélène Lafon

Il y a Paul et il y a monsieur Cézanne. Il y a le père et la femme, le jardinier Vallier, le docteur Gachet et les écrivains Flaubert et Zola. Tout un monde. Il y a les toits rouges sur la mer bleue, les mains, le sucrier, le chapeau, l’argent et les secrets. Il y a les silences, épais. Marie-Hélène Lafon est allée vers Cézanne comme on « va au paysage ». A corps perdu. Cet essai en est la trace éblouie.

Coup de cœur : quel enchantement à nouveau de lire Marie-Hélène Lafon ; quelle écriture ! Incarnée, charnelle, inventive. Ce passionnant essai se lit comme un roman. Grâce à elle Cézanne vous restera au cœur.

Toute une moitié du monde

par Alice Zeniter

Avec Toute une moitié du monde, Alice Zeniter écrit un livre hautement stimulant, fondé sur ses expériences personnelles de lectrice avant tout, mais d’écrivaine aussi, un livre qui nous invite à repenser nos façons de lire les histoires qu’on nous raconte. C’est aux lecteurs que nous sommes qu’il s’adresse, c’est avec eux qu’il converse, avec autant de sérieux que d’allégresse, autant d’humour que d’érudition.
Ce livre est tout simplement l’histoire d’une femme qui aimerait qu’on ouvre en grand les fenêtres de la fiction.

Coup de cœur : brillant, enlevé mais aussi profond et proposant une saine réflexion sur les histoires qu’on nous raconte à longueur de littérature ; ce texte est aussi prenant qu’une belle histoire.

Quand tu écouteras cette chanson

par Lola Lafon

« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une oeuvre ? Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant.
La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au coeur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver ».

Coup de cœur :  ce livre magnifique nous transporte. Sa qualité littéraire, tout le talent de narratrice de Lola Lafon en font un texte unique et nécessaire.

L’expertise sans peine

par Sebastian Dieguez

On révère le talent des experts qui, de radios en journaux, de plateaux télévision en chaînes YouTube, de conférences en séminaires de formation, nous offrent au pied levé des perles de sagesse et des joyaux de connaissances savamment ciselées. Or, on s’imagine à tort qu’une telle expertise requiert des années douloureuses d’études et suppose une lente accumulation de savoirs complexes au cours d’un laborieux travail.
Rien n’est plus faux ! L’expertise, au contraire, est à la portée de n’importe qui, dès maintenant. Et si elle nécessite des talents particuliers qu’il faut savoir cultiver, elle ne requiert aucune connaissance scientifique, politique ou philosophique particulière. Ce petit guide pratique a justement été conçu pour vous aider à devenir expert sans trop d’efforts. Vous y découvrirez toutes les clés pour briller sur ce terrain très concurrentiel.
Comment, par exemple, donner votre avis sur n’importe quoi, improviser des analyses à l’emporte-pièce, glisser d’un sujet à l’autre et susciter des polémiques incontournables… Si toutefois la carrière d’expert dépasse vos ambitions, notre guide est suivi d’un essai intitulé Paradoxes de l’expertise, susceptible d’intéresser ceux qui se demandent s’il n’est tout de même pas un peu étrange d’avoir autant d’experts disponibles à tout moment pour tout savoir sur tout…

Mediapart

par Fabrice Arfi

Ce livre est né d’une conviction forte sur laquelle s’est créé Mediapart il y a maintenant quinze ans : le journalisme, ce n’est pas avoir des opinions ; c’est avant tout un métier, un artisanat, qui consiste à trouver et exposer des faits permettant d’éclairer le débat public. Pour y parvenir, rien de tel que l’enquête, son temps long, sa méthode et ses rudesses. L’ouvrage reprend, synthétise et approfondit quinze enquêtes emblématiques, qui ont forgé l’ADN du journal et dont les échos ont marqué durablement la société.
La rédaction dévoile ici les coulisses de ces enquêtes exceptionnelles, mais en mesure aussi l’impact, qu’il soit politique, institutionnel, législatif, sociétal, fiscal, etc. Quel a été le déclencheur de ces investigations ayant fait tomber des ministres, trembler des présidents et qui ont déstabilisé de grandes entreprises ? Quels doutes ont traversé les journalistes pendant leurs recherches ? Quels obstacles a-t-il fallu surmonter ? Comment faire face aux campagnes de communication hostiles que la rédaction doit souvent affronter ? Toutes ces enquêtes contiennent des informations qui n’auraient jamais été connues du public sans le travail de Mediapart.
Sous la direction de Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg, coresponsables du pôle Enquête de Mediapart. Les 15 enquêtes de ce livre ont été sélectionnées à partir d’un sondage en ligne où les participants ont pu voter, parmi 100 propositions, pour celles qu’ils voulaient voir publiées.

Cannes 1939

par Olivier Loubes

Prévu pour s’ouvrir le 1er septembre 1939, le tout premier Festival de Cannes n’a pas eu lieu. L’entrée en guerre imposa sept ans de réflexion à ce qui allait devenir le plus grand festival de cinéma au monde. Pourtant, Cannes 39 a bel et bien existé : tout était prêt ! Les films étaient sélectionnés, dont Le magicien d’Oz ou Stanley et Livingstone. Les vedettes étaient déjà là ou en route, comme Norma Shearer ou Cary Grant, Michèle Morgan ou Pierre Fresnay.
Le Président d’honneur, Louis Lumière, était désigné et le Président du Festival n’était autre que Jean Zay, « ministre du Cinéma » , qui avait voulu, avec l’aide des studios américains, créer Cannes pour contrer la Mostra de Venise devenue ouvertement fasciste. De cette aventure méconnue subsistent des archives inédites qui permettent à Olivier Loubes de nous rendre l’histoire de cet événement disparu.

Un ouvrage passionnant, rendant toute la dimension « romanesque » de cet épisode méconnu de l’histoire et du cinéma. Il a reçu le Prix du livre d’Histoire du cinéma au Festival international du film d’histoire de Pessac en novembre 2016.

Déplacer la lune de son orbite

par Andrea Marcolongo

C’est une nuit dans un musée vide que je m’apprêtais à passer devant l’Acropole. Les marbres du Parthénon, ont été arrachés à la pioche et envoyés en Angleterre par Lord Elgin au début du XIXe siècle. À Athènes, il ne reste que des miettes : un pied de déesse, la main de Zeus, la tête d’un cheval. Nous avons tous dérobé quelque chose à la Grèce : ses idées, sa politique, à partir desquelles nous avons forgé nos racines occidentales, mais aussi ses arts, sa beauté Antique.
Dans ce vol collectif, je ne suis qu’un imposteur parmi d’autres : je ne suis pas grecque, je ne parle pas le grec moderne, et pourtant j’ai bâti ma vie et mon écriture sur ce vol. Ce soir, ce privilège sans précédent dans l’histoire du musée m’a pourtant été accordé, à moi, qui n’ai ni Homère ni Platon dans mon sac, mais la biographie de Lord Elgin.

Coup de cœur : cette collection « Ma nuit au musée » est décidément riche en pépites. Brillante linguiste, Andrea Marcolongo explore le vide du musée en parcourant notre héritage Grec. Au-delà de la narration du vol éhonté des splendeurs du Parthénon, elle développe toute une réflexion et une introspection d’une fort belle plume.

L’établi

par Robert Linhart

Les « établis » sont les quelques centaines de militants intellectuels qui, à partir de 1967, s’embauchaient, « s’établissaient » dans les usines ou les docks pour vivre l’expérience du travail ouvrier. Robert Linhart a mis 10 ans à écrire sont expérience d’une année comme OS dans une usine Citroën. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression, la place de l’homme face aux objets. Il raconte ce que c’est, pour un Français ou un immigré, d’être ouvrier dans une grande entreprise parisienne.
Mais l’établi, c’est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières ou bosselées avant qu’elles passent au montage. Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que les hommes entretiennent entre eux par l’intermédiaire des objets : ce que Marx appelait les rapports de production.

Coup de cœur : témoignage indispensable, implacable, c’est un texte qui a aussi une grande valeur littéraire.

Le génie et les ténèbres

par Roberto Mercadini

Quand ils se rencontrent, à Florence, au tout début du XVIe siècle, Michel-Ange a vingt-six ans et Léonard quarante-neuf. Michel-Ange est capricieux, perfectionniste, aussi pieux qu’il est négligé dans ses manières, mais déterminé à se frayer un chemin à coups de burin. Léonard de Vinci est un hédoniste aux contours plus nuancés, aussi élégant qu’un dandy, mais qui ne respecte aucune échéance, s’intéresse autant aux sciences qu’aux arts, et devient même, parmi les multiples métiers qu’il exerce pour gagner sa vie, musicien de cour.
Avec son talent de conteur d’exception, Roberto Mercadini redonne vie aux hommes plus encore qu’aux artistes et ressuscite à merveille leur monde disparu : les troubles et les splendeurs de cités légendaires, quantité d’œuvres sublimes, une foule de personnages historiques hauts en couleur, peintres, sculpteurs, architectes, papes, condottieres, comtesses guerrières et moines rebelles. A la Renaissance, comme dans les vies de Léonard et de Michel-Ange, rien ne sépare la lumière des ombres : le génie solaire des gestes parfaits de l’artiste cohabite toujours avec les ténèbres de ses obsessions.
Coup de cœur : Léonard de Vinci et Michel-Ange sont nés pour être rivaux. Rien ne les a opposés davantage que leurs tempéraments.  Avec brio et rigueur, « Le génie et les ténèbres » nous plonge au cœur de leur rivalité légendaire en ces temps obscurs, exaltants et tragiques de la Renaissance.  Une belle écriture au service du portrait passionné de ces deux génies.

King Kasaï

par Christophe Boltanski

 » Il est tout blanc, d’un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière – l’ivoire – à travers ses multiples usages exhumés d’un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n’est plus qu’un bibelot parmi d’autres. »

King Kasaï est le nom d’un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l’Afrique centrale (rebaptisé « Africa Museum »), situé près de Bruxelles. C’est là que Christophe Boltanski passe la nuit.

Coup de cœur  : dans la géniale collection « Une nuit au musée », encore un opus particulièrement intéressant et bien écrit. Sur les traces de Joseph Conrad, l’auteur s’aventure au cœur des plus violentes ténèbres et au point de rencontre des mémoires et des époques.  Le soin porté au style et à l’écriture est à la hauteur du sujet.