Coups de cœur du rayon Sciences humaines et sociales

(histoire, économie, politique, philosophie, psychologie, sociologie…)

On est bien arrivés – Un tour de France des grands ensembles

par Renaud Epstein

Il y a 25 ans, dans un bar-tabac du quartier des Trois ponts à Roubaix où il mène sa première recherche sur la ville, Renaud Epstein tombe sur une carte postale défraichie de la ZUP. Une de ces cartes postales comme la France en a produit des milliers pendant les 30 glorieuses, quand elle considérait sa politique de la ville comme pionnière dans le monde, et voulait diffuser la bonne parole. Cette carte postale est devenue le point de départ d’une collection de 3000 cartes du même genre, véritable Tour der France des zup, des cités ou des grands ensembles.
Ilf aut dire que le modèle français a eu tellement de succès, il s’est bâti si rapidement et dans une telle ampleur, qu’il a inspiré des quartiers dans le monde entier… et notamment en Europe de l’Est. Quand Renand Epstein décide de créer un fil Twitter pour exposer sa collection, c’est un délire. Les anciens habitants, les anciens experts, et les fachos de toujours, donnent de la voix pour confronter leurs souvenirs, leurs regrets, ou leurs anathèmes.
Ce livre est, parmi 3000 cartes postales, la sélection des 64 cartes les plus étonnantes, les plus parlantes, classées région par région, et assorties d’une préface pédagogique de l’auteur.

Cinq mains coupées

par Sophie Divry

Merci à Sophie Divry de donner la parole aux cinq hommes qui n’ont plus de main car ils avaient manifesté pour leur dignité et pour améliorer la vie de leurs contemporains. Merci de raconter leur après.

Ceux qui trop supportent

par Arno Bertina

En 2017, Arno Bertina a rencontré des salariés en lutte sur le site de l’usine GM&S (équipementier automobile). Fraternité, expertise, pertinence politique… Voilà ce qui se dégage des combats sociaux lorsqu’ils sont vécus de l’intérieur, et non via ces caméras de télévision indifférentes à la joie des ouvriers se découvrant une voix qui porte. Peut-être ces salariés de La Souterraine m’ont-ils séduit, aussi, car je les ai vus lucides mais courageux, et plein d’allant malgré l’épée de Damoclès qu’ils savaient pendue au-dessus de leur tête. Leur intelligence m’a aimanté.

« Ceux qui trop supportent » est un récit documentaire  d’une humanité poignante.

Coup de coeur : des mots contre les maux. Portraits de travailleurs fiers, dont l’intelligence frappe à chaque page. Ce texte remarquable est plus qu’un hommage, il est d’utilité publique.

Personne ne sort les fusils

par Sandra Lucbert

De mai à juillet 2019 se tient le procès France Télécom-Orange. Sept dirigeants sont accusés d’avoir organisé la maltraitance de leurs salariés. Parfois jusqu’à la mort. On les interroge longuement, leur fait expliquer beaucoup. Rien à faire : ils ne voient pas le problème. Le PDG a un seul regret : « Cette histoire de suicides, c’est terrible, ils ont gâché la fête ».
Il y avait donc une fête ? Parlons-nous la même langue ?

Sandra Lucbert est née en 1981. Normalienne, agrégée de lettres, outre deux romans, elle a écrit un autre texte d’intervention littéraire : Le ministère des contes publics. Prix Les Inrockuptibles Essai.

Coup de cœur : Quelle langue nous parlent les puissants ? Comment ont-il détourné le langage pour servir leurs intérêts …  Indispensable et nécessaire, terriblement pertinent et actuel, cet essai est à lire absolument ! 

Le ministère des contes publics

par Sandra Lucbert

Une maternité ferme. Un accouchement tourne mal. Un enfant meurt. Interpellé, le préfet n’a qu’une chose à dire :  » nous sommes comptables de la dette publique « . Et le verrou est mis. Proposition de la littérature : tourner la clé. A l’évidence, tout tient dans une formule — mais qu’est-ce qu’elle tient cette formule ? Un ordre, des intérêts, un verrouillage. En guise de quoi on dit : LaDettePubliqueC’estMal.
C’est un assommoir : trente ans de répétition, des parleurs, des figures, des grimaces — tous les tours de l’autorité. Qui n’y feront rien : ce seront toujours des contes. Mauvais livre de contes : l’ouvrir, le désosser, le bazarder.

Coup de coeur : après « Personne ne sort les fusils », Sandra Lucbert  met à jour à nouveau très brillamment les ressorts mortifères du langage des dominants. Un texte de salut public, une démonstration implacable et indispensable.

Il était une fois sur cent – Rêveries fragmentaires sur l’emprise statistique

par Yves Pagès

Des années durant, l’écrivain Yves Pagès a glané toutes sortes de statistiques, notant dans un carnet des centaines de pourcentages. De ce vertigineux inventaire, il a fait un livre qui reconstitue par fragments le tableau d’une société infestée par une vision comptable du monde. Difficile de rompre la glace du monstre statistique, d’échapper à ses ordres de grandeur qui prétendent tout recenser de nos faits et gestes, quantifier nos opinions, mettre en coupe réglée nos vies matérielles.
Il nous livre en pointillé une analyse caustique de la condition des vivants à l’ère de la gouvernance par les nombres, agrémentée de quelques suggestions pour passer entre les mailles du filet statistique.

Coup de cœur : balade instructive et inédite sur les chemins parfois absurdes des pourcentages et autre ratios. Une écriture soignée, un certain engagement, un régal de lecture et de fameuses pistes de réflexion !

Dans les geôles de Sibérie

par Yoann Barbereau

« Cueilli impréparé, j’étais de ces taulards qui font leur entrée dans le monde sans aucun effet personnel ». Irkoutsk, Sibérie orientale. Yoann Barbereau dirige une Alliance française depuis plusieurs années. Près du lac Baïkal, il cultive passions littéraires et amour de la Russie. Mais un matin de février, sa vie devient un roman, peut-être un film noir. Il est arrêté sous les yeux de sa fille, torturé puis jeté en prison.
Dans l’ombre, des hommes ont enclenché une mécanique de destruction, grossière et implacable, elle porte un nom inventé par le KGB : kompromat. Il risque quinze années de camp pour un crime qu’il n’a pas commis. L’heure de l’évasion a sonné…

Dans les forêts de l’ours

par Rémi Huot

Tous ceux qui se sont intéressés, de près ou de loin, à la vie mystérieuse de l’ours sont finalement tombés d’accord sur les possibilités de l’observer. Ils sont légion celles et ceux qui, par crainte ou par passion, l’ont traqué des vies entières sans jamais le voir. Au risque d’attendre sans succès aux heures crépusculaires, Rémi Huot se doit tout de même d’essayer. Désireux de rencontrer la bête à l’état à sauvage, il part à l’est de l’Europe, marcher à rebours des grands chemins et des lieux communs, dans un pays perdu.
Se mettre à la recherche de l’ours, c’est d’abord vivre un morceau de solitude dans les bois et se plier à l’exigence de la marche. C’est prendre les heures d’attente comme autant de chances de ne faire plus qu’un avec l’espace naturel et se dire que la quête se vaut bien à elle seule.

Coup de cœur : plus qu’un récit de marche, ce texte à l’écriture soignée et recherchée est un grand roman de la nature. Célébrant faune et flore, c’est une belle réflexion sur le monde sauvage et sur l’homme.  Passionnant et touchant.

Chaudun, la montagne blessée

par Luc Bronner

Vous montez un col, traversez une forêt, longez une rivière. Au fond de la vallée, les restes d’un village, des blocs de pierre brisés, presque rien : ci-gît Chaudun, village maudit qui fut vendu en 1895 par ses habitants à l’administration des Eaux et Forêts. Trop d’hommes et de femmes, trop de bêtes à nourrir. Au fil des ans, la plupart des bois ont disparu, ravagés par des coupes excessives. La vallée est exsangue, les pâturages inexploitables.
Comme un torrent en crue, le récit de Luc Bronner charrie et recompose toutes les traces du passage des hommes et des femmes dans leur intimité et jusqu’à leur fuite inéluctable. Evocation poétique, érudite et charnelle des paysages alpins, de leur beauté et de leur cruauté, ce livre est le récit minutieux d’un désastre écologique et humain et, in fine, d’une résurrection : aujourd’hui, Chaudun est le coeur d’un espace ensauvagé, l’une des plus somptueuses vallées d’Europe où l’animal a remplacé l’homme.
La quête s’achève sur un éblouissement :  » Il faudrait raconter la jouissance des botanistes dans ces lieux abandonnés par l’homme depuis plus d’un siècle. Cette étrange sensation de vertige face à la beauté infinie. Je me berce de cette opulence, de cette orgie du végétal qui déborde de toutes parts, à toutes les heures du jour et de la nuit ».

Personne ne sort les fusils

par Sandra Lucbert

De mai à juillet 2019 se tient le procès France Télécom – Orange. Sept dirigeants sont accusés d’avoir organisé la maltraitance de leurs salariés. Parfois jusqu’à la mort. On les interroge longuement, leur fait expliquer beaucoup. Rien à faire : ils ne voient pas le problème. Le PDG a un seul regret :  » Cette histoire de suicides, c’est terrible, ils ont gâché la fête.  » Il y avait donc une fête ? Parlons-nous la même langue ? Sandra Lucbert est née en 1981.
Normalienne, agrégée de lettres, elle a écrit deux romans, Mobiles (Flammarion, 2013) et La Toile (Gallimard, 2017).

Coup de cœur : un choc avec ce texte. Bien au-delà du procès Orange, l’auteure décortique le langage libéral et son projet de société bien particulier. Salutaire, limpide, une leçon de mots, une mise en garde sur le cynisme.